La beauté de l’âme
Dès « Gute Nacht », la clarté de la ligne de chant, la perfection du legato, la longueur du souffle saisissent. Le timbre, absolument inaltéré, continue de dispenser des harmoniques à foison, écrin de velours aux graves moelleux et aux aigus toujours clairs, encore juvéniles.
Par Clément Taillia | lun 30 Janvier 2023 | Imprimer
L’affaire semble entendue : dans le Lied, il y a les chanteurs qui seraient d’authentiques spécialistes, et ceux qui, venant de l’opéra, le chantent par exception, pour ne pas dire pas effraction. Les premiers sont des intellectuels austères et sourcilleux. Les seconds, des comédiens, prompts à verser dans une théâtralité plus extérieure. Classification un peu rapide, qui ne rend jamais justice aux meilleurs représentants de ces deux bords et qui relève avant tout d’un malentendu sur ce qu’est le Lied : de la poésie en musique, certes, mais qui peut porter autant d’intensité dramatique que l’opéra – lequel ne requiert pas forcément des histrions grandiloquents. Avec Peter Mattei, les frontières se trouvent, ainsi, magnifiquement brouillées. Dans aucune de ses incarnations scéniques, que ce soit chez Mozart, chez Tchaïkovski, chez Wagner, chez Verdi, le baryton suédois n’a pu être pris en défaut d’élégance ou de justesse stylistique. Et son Winterreise porte avant tout la même exigence de musicalité. Dès « Gute Nacht », la clarté de la ligne de chant, la perfection du legato, la longueur du souffle saisissent. Le timbre, absolument inaltéré, continue de dispenser des harmoniques à foison, écrin de velours aux graves moelleux et aux aigus toujours clairs, encore juvéniles. La technique permet de jouer sur tout le clavier des nuances, en gardant intacte l’intégrité du son, qui ne se débraille pas dans le forte ni ne détimbre dans le piano.
Pure jouissance vocale ? Non, car ce qui nous est donné ici, c’est, comme l’écrivait Victor Hugo, « la beauté de l’âme qui se répand comme une lumière mystérieuse sur la beauté du corps » (ou de la voix, ajoute…
David Fray